Le peintre français d'origine
chinoise Zao Wou-Ki vient de mourir le 9 avril sur les bords du Lac Léman où il s'était retiré en 2011. Il était atteint de la maladie d'Alzheimer. Pendant une 50e d'années, il avait peint la majeure
partie de son oeuvre dans son atelier de la rue Jonquoy, dans le 14e
arrondissement de Paris.
Né à Pékin le 1er février 1920
dans une ancienne famille aristocratique remontant à la dynastie Song, il avait
commencé ses études en 1935 à l'Ecole des beaux-arts d'Hangzhou où il
demeurera six ans et où y devint assistant en 1941. Des cartes postales rapportées
de Paris par un oncle et des magazines américains lui révélèrent l'art
occidental, l'impressionnisme, Matisse et Picasso. Une première exposition
personnelle à Shanghaï en 1947 précéda de peu son départ pour Paris : la
situation politique et le désir de connaître par lui-même cet autre monde déterminèrent
son départ de Chine.
Arrivé à Paris, le 1er avril
1948, en compagnie de Lalan, sa première épouse, il raconte lui-même qu'il
passa, ébloui, son premier après-midi au Louvre. Il installa ensuite un atelier rue du
Moulin-Vert, proche de celui de Giacometti, dans le 14e arrondissement et
fréquenta l'académie de la Grande-Chaumière, se rendant dans les galeries et
découvrant l'un de ses artistes de référence, Klee. Il rencontra aussi de jeunes
artistes depuis peu arrivés à Paris, en particulier Pierre Soulages. Sa
première exposition, il la fit à la galerie Creuze, en mai 1949, puis chez
Pierre Loeb. Ce dernier lui fit connaître Henri Michaux qui devint son ami et
écrivit, dans sa préface au catalogue de la première exposition que fit le
peintre à New York en 1952 : «Montrer en dissimulant, briser et faire trembler
la ligne directe", ce qui est une bonne approche de son œuvre..
Zao Wou-ki fut très vite attiré par l'abstraction mais il ne rejoignit jamais vraiment le mouvement. Bien que proches, aussi bien amicalement que techniquement, d’ Hartung et de Soulages, ils firent ensemble de nombreuses expositions à la Galerie de France,
on ne peut pas dire qu'ils formèrent un groupe, car leurs œuvres n'ont rien de
commun, même s'ils partagent la même exigence d'expérimentation physique et
intuitive.
Se dégageant de l'influence de
Klee, il peint, à partir du milieu des années 1950, sur des formats de plus en
plus grands, ses couleurs gagnent en
éclat, ses gestes en puissance. Les tensions sont accentuées par l'affrontement
entre des couleurs très intenses. Généralement Zao Wou-ki ne donne pas de nom à
ses œuvres. Il fait cependant une exception pour un Hommage à Henri Matisse –
hommage à ses roses et à ses bleus, mais aussi à sa géométrie tranchante. La bi-dimensionnalité
de l'abstraction est emportée dans un espace vaste et mouvant, océanique ou
céleste. Les encres sont animées du même souffle. ZaoWou-ki revient à cette
technique en 1971, à la suggestion de Michaux.
Zao Wou-ki n’a jamais été
directement inspiré par la tradition de la calligraphie chinoise, mais il
utilisa l'encre pour réinterpréter l'abstraction selon la conception chinoise
du geste et de l'espace, comme auparavant l'huile, technique occidentale,
l'avait déterminé à s'écarter de son éducation première.
Bien que naissent alors
quelques-uns de ses chefs-d'œuvre, Zao Wou-ki paraît, dans les années 1960 et
1970, loin des courants à la mode. On l'enferme dans le label commode de
l'"abstraction lyrique", dont il ne se réclame pas. On lui reproche
d'être "trop" peintre, de ne pas tenir de discours théorique, de ne
pas cultiver l'ascétisme et d'aspirer même à une sorte de sublime de la
couleur. Depuis, le jugement s'est inversé, de la désaffection à l'admiration,
jusqu'à faire de lui l'un des artistes les plus connus de tous les publics.
L'inventaire de ses expositions
dans des galeries, de ses rétrospectives dans des musées, des commandes et des
distinctions qu'il a reçues serait interminable. A partir des années 1980, sa
notoriété gagne l'Asie, Singapour – où il travaille avec l'architecte Ieoh Ming
Pei –, Hongkong, Taïwan, le Japon, la Corée.
En 1983, il est invité à revenir
dans la Chine qu'il a quittée trente-cinq ans plus tôt, pour des expositions à
Pékin et Hangzhou. Il y retourne pour enseigner pendant un mois en 1985 et fait
découvrir à ses élèves l'art occidental, auparavant prohibé.
A mesure que son pays natal
s'ouvre à l'Occident, que des collectionneurs s'y révèlent et que les artistes chinois
s'imposent, l'engouement pour son art devient immense et son renchérissement
est proportionnel. Jadis contraint de s'exiler, il apparaît désormais comme un
maître et un symbole pour ses compatriotes – un symbole culturel parce que son
art allie un sentiment de l'espace et une puissance du geste, que l'on tient
pour caractéristiques de l'art chinois, à la peinture à l'huile, création
européenne qu'il a su apprivoiser et attirer vers le monde aérien et mobile qui
était le sien.
[Cet article est une synthèse de
celui écrit par Philippe Dagen, dans Le Monde du 9 Avril 2013].
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