J'ai consacré plusieurs posts à Yves Bonnefoy, en particulier à son merveilleux ouvrage "L'arrière-pays" que j'ai lu et relu plusieurs fois et qui ne me quitte jamais tout à fait. J'ai écrit ce texte en 2012, inspiré par une de ces lectures...
Ombre et lumière
(En lisant Yves Bonnefoy)
Nous nous connaissons depuis toujours et nous nous connaissons à jamais.
Nous nous rencontrâmes à Ravenne, à contempler dans le
silence les mosaïques de Sant’Apollinare, ou bien était-ce à Athènes… dans
l’éblouissement blessé de la flamboyante acropole ou bien devant la Tour des
Vents. Ou était-ce en Toscane, à l’ombre de la sombre Cortona ou au pied des
falaises abruptes d’Orvieto...
Je ne m’en souviens pas. Mais je sais que nous nous sommes
rencontrés dans ce pays des rêves où la lumière joue à cache-cache avec l’ombre
et danse un ballet fabuleux.
Il y avait une place immense, démesurée, bordée de nobles
bâtiments aux rigidités irréelles. Je pensais aux paysages fantastiques de Chirico
ou de Delvaux, aux étranges trompe-l’œil de Piero[1].
Et des tours improbables griffant un ciel d’émeraude strié de langues de feu comme aux temps héroïques de San Gimignano ou sur les fresques de Giotto à Assise.
Nous étions seuls, toujours. Face à face, bien qu’éloignés
par la surface de la place. Nos ombres démesurément étirées par la lumière
flamboyante. Nous n’échangions pas un mot pour ne pas troubler l’éternité de ce
silence. Un seul regard avait suffi pour que nous nous reconnaissions.
L’eau coulait quelque part du griffon d’une fontaine envahie
par la mousse. Ce simple murmure suffisait à rafraîchir l’espace écrasé de
soleil et alléger le poids du ciel et du temps.
Une ombre bleue endormait les lointaines collines qui ont vu
saint François imposer le bât au loup sauvage qui avait tué l’âne, son
compagnon. A moins que ce ne fut Jean, penché sur l’écritoire de Patmos,
transcrivant les scènes inouïes de son Apocalypse.
Pourquoi ces paysages ? Pourquoi ces lieux-là et pas d’autres
? Mes pas m’ont amené vers eux comme vos pas vous y ont amené. Ou ce sont eux
qui sont venus à moi, je ne sais. Et nous nous sommes rencontrés,
retrouvés.
Nous nous sommes reconnus car nous aimons tous deux cette
phrase de Rilke :
« Tout ange est
terrible »
Ou cette autre de Valéry :
Entre les pins palpite,
entre les tombes;
Midi le juste y compose
de feux
La mer, la mer,
toujours recommencée! »
« Il y eut un jour, il y eut un matin : 1er
jour »
Encore un mot, que sans doute vous seul pourrez
comprendre : ce fut à Tolède, à la Puerta del Sol, ébloui par les
miroitements du Tage, que la lumière me transperça. Je passai alors de la
lumière à l’ombre. A moins que ce ne fût de l’ombre à la lumière…
Aubenas, 4/3/2012
[Extrait du recueil inédit Paroles du vent]
Je relis ce matin ton post Ombre et lumière. Bel hommage à Yves Bonnefoy.
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