"...don't be stuck in the every day reality, allow yourself to dream, have faith in your wildest dreams." [AaRON]

"Ne restez pas scotchés à la réalité quotidenne. Permettez-vous de rêver. Croyez en vos rêves les plus fous..." [AaRON]

samedi 4 février 2023

OMBRE ET LUMIERE (EN LISANT YVES BONNEFOY)

J'ai consacré plusieurs posts à Yves Bonnefoy, en particulier à son merveilleux ouvrage "L'arrière-pays" que j'ai lu et relu plusieurs fois et qui ne me quitte jamais tout à fait. J'ai écrit ce texte en 2012, inspiré par une de ces lectures... 


Abbaye du Thoronet (photo Roland Comte)

Ombre et lumière

(En lisant Yves Bonnefoy)

Nous nous connaissons depuis toujours et nous nous connaissons à jamais.

Nous nous rencontrâmes à Ravenne, à contempler dans le silence les mosaïques de Sant’Apollinare, ou bien était-ce à Athènes… dans l’éblouissement blessé de la flamboyante acropole ou bien devant la Tour des Vents. Ou était-ce en Toscane, à l’ombre de la sombre Cortona ou au pied des falaises abruptes d’Orvieto...

Je ne m’en souviens pas. Mais je sais que nous nous sommes rencontrés dans ce pays des rêves où la lumière joue à cache-cache avec l’ombre et danse un ballet fabuleux.

Il y avait une place immense, démesurée, bordée de nobles bâtiments aux rigidités irréelles. Je pensais aux paysages fantastiques de Chirico ou de Delvaux, aux étranges trompe-l’œil de Piero[1]. Et des tours improbables griffant un ciel d’émeraude strié de langues de feu comme aux temps héroïques de San Gimignano ou sur les fresques de Giotto à Assise.

Nous étions seuls, toujours. Face à face, bien qu’éloignés par la surface de la place. Nos ombres démesurément étirées par la lumière flamboyante. Nous n’échangions pas un mot pour ne pas troubler l’éternité de ce silence. Un seul regard avait suffi pour que nous nous reconnaissions.    

L’eau coulait quelque part du griffon d’une fontaine envahie par la mousse. Ce simple murmure suffisait à rafraîchir l’espace écrasé de soleil et alléger le poids du ciel et du temps.

Une ombre bleue endormait les lointaines collines qui ont vu saint François imposer le bât au loup sauvage qui avait tué l’âne, son compagnon. A moins que ce ne fut Jean, penché sur l’écritoire de Patmos, transcrivant les scènes inouïes de son Apocalypse.

Pourquoi ces paysages ? Pourquoi ces lieux-là et pas d’autres ? Mes pas m’ont amené vers eux comme vos pas vous y ont amené. Ou ce sont eux qui sont venus à moi, je ne sais. Et nous nous sommes rencontrés, retrouvés. 

Nous nous sommes reconnus car nous aimons tous deux cette phrase de Rilke :

« Tout ange est terrible »

Ou cette autre de Valéry :

 « Ce toit tranquille où marchent des colombes,

Entre les pins palpite, entre les tombes;

Midi le juste y compose de feux

La mer, la mer, toujours recommencée! »

 Ou encore, poème primordial et génial, attribué à Dieu :

« Il y eut un jour, il y eut un matin : 1er jour »

 Nous nous croiserons à nouveau devant une marine de Turner, ou ailleurs, chi lo sa ? et peut-être qu’alors nos chemins se croiseront encore, toujours ici ou là, là où les ombres jouent avec la lumière. 

Encore un mot, que sans doute vous seul pourrez comprendre : ce fut à Tolède, à la Puerta del Sol, ébloui par les miroitements du Tage, que la lumière me transperça. Je passai alors de la lumière à l’ombre. A moins que ce ne fût de l’ombre à la lumière…

 

Aubenas, 4/3/2012 

[Extrait du recueil inédit Paroles du vent]

 

 

 

 



[1] Piero della Francesca.

1 commentaire:

  1. Je relis ce matin ton post Ombre et lumière. Bel hommage à Yves Bonnefoy.

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