"...don't be stuck in the every day reality, allow yourself to dream, have faith in your wildest dreams." [AaRON]

"Ne restez pas scotchés à la réalité quotidenne. Permettez-vous de rêver. Croyez en vos rêves les plus fous..." [AaRON]

lundi 13 août 2007

Mes nouvelles : "Le visiteur" (1972)







Au départ, ce texte avait été écrit sous le titre "l'étranger" qui est aussi celui d'un poème que j'ai publié ici. Il a été grandement modifié depuis sa première version, écrite lors d'un voyage à Genève, alors que j'étais en Sciences-Po, en 1972. Il avait été inspiré par une réception à l'ancien siège de la Société des Nations, devenu siège de l'ONU. J'espère que cette nouvelle version vous plaira. Après avoir vu le remake du film "Le jour où la terre s'arêta" (2008) avec Keanu Reeves, je me rends compte qu'il avait aussi été inspiré par ce film du même nom, réalisé par Robert Wise (1951), que j'avais vu lors d'un festival de SF, à Grenoble.

Le visiteur (1972)

Il était seul.

De l’esplanade pavée de grandes dalles blanches, l’on découvrait l’immensité de la ville : une forêt hérissée de gratte-ciel dont la pointe semblait noyée dans la brume légère qui la nimbait.

Son seul compagnon était le silence. Un silence absolu, total, aussi immense que l’immensité de la ville.

Certains l’auraient trouvé « pesant », ou même « menaçant », mais le visiteur ne connaissait pas ces mots ni l’un ni l’autre de ces sentiments. Pour lui le silence était le silence, rien d’autre.

Mais pour ceux qui habitaient la ville, cela aurait dû paraître anormal car celle-ci vivait perpétuellement entourée du brouhaha fait par le bruit des voitures, des klaxons, des sirènes et de bien d’autres qui rythmaient ses activités et étaient synonymes de la vie. Sans doute ses habitants n’y prêtaient-ils pas attention mais, aujourd’hui, s’ils avaient pu l’entendre, ce silence les eût surpris et dérangés et ils se seraient inquiétés.

Le visiteur ne s’en inquiétait pas, lui. Tout ce qu’on entendait, c’était le léger bruit du vent qui soufflait sur l’esplanade et entre les tours altières. Mais ce vent n’agitait aucun arbre, car il n’y en avait pas ici, sur cette esplanade immaculée, où rien n’aurait pu évoquer la vie. Seules quelques rides troublaient la sérénité des bassins emplis d’une eau limpide. Seules, au haut des mâts, ondulaient mollement des centaines de bannières colorées.

Devant lui, dominant l’esplanade de toute sa prodigieuse hauteur, se dressait un building de verre et d’acier dont la masse semblait l’interpeller avec une supériorité feinte, lui, le visiteur.

Il leva les yeux vers le ciel. Il était clair et calme. Il n’y avait pas un nuage. Pas un avion non plus, ni un oiseau. Comme montait le soleil, la ville se défaisait un à un de ses voiles de brume.

Tournant le dos au soleil, le visiteur s’avança vers l’immeuble. Ses pas claquaient dans le silence sur les dalles de marbre. A ce bruit, il tressaillit, tant il se savait seul.

A présent, il avait atteint les grandes portes de verre. Il savait que, peu avant qu’il ne se présente devant elles, elles s’ouvriraient dans un chuintement discret pour le laisser passer. Il savait aussi qu’en pénétrant dans le vaste hall aux murs froids et métalliques, la même magie, dont les hommes étaient si fiers, opèrerait indéfiniment, jusqu’à ce qu’il ait atteint, au 32ème étage, la terrasse depuis laquelle on dominait la ville.

Un mince sourire effleura son visage lorsque ses yeux se posèrent sur le sigle des Nations Unies de la Terre. Le monde des hommes s’y dessinait en filigrane, perdu au centre du grand mur bleu. C’était donc l’image qu’ils se faisaient de la paix. Quelle étrange vision et quelle étrange notion avaient-ils de l’unité ! Unité dans la mort, unité dans la violence et dans la destruction ? Oui, sans doute…

Il y avait seulement quelques jours, le monde qui lui était apparu, à lui, le visiteur n’avait rien à voir avec cette image plate et sereine, reproduite là, sous ses yeux. La Terre qu’il avait découverte était livrée à la violence, à la misère, à la haine, à la folie, à la souffrance… Voilà ce qu’il avait vu, lui, le visiteur, à la place de cette image artificielle et fausse.

La haute porte bleue s’était effacée devant lui.

Il se revit à quelques jours de distance, dans cette salle hémisphérique, approchant lentement de la tribune où il allait s’adresser aux représentants des nations de la Terre.

Il avait parlé avec ses mots, en absolue sincérité de cœur et d’âme à ces gens qu’il croyait encore susceptibles de comprendre : il avait dit la loi d’Amour, l’Univers Un dans lequel la Terre avait son rôle à jouer… Ce rôle, elle ne le jouait plus. Volontairement ? On lui proposait, pour sauver l’humanité de la destruction totale vers laquelle elle se dirigeait, d’entrer dans la grande Alliance. Pourquoi la Terre refuserait-elle ? Lui-même débordait d’amour lorsqu’il avait prononcé ces paroles.

Mais, soudain, alors qu’il ne s’attendait à rien de ce genre, il avait senti son cœur éclater, une terrible douleur à la poitrine, une grande déchirure de tout son être... Il avait encore tenté de prononcer les mots importants qui lui restaient à dire mais un bruit immense avait envahi sa tête, un vacarme énorme, démesuré issu de son propre organisme blessé qui se mélangeait aux cris et au brouhaha de la salle.

Il s’était affaissé sur l’épais tapis bleu. Il se souvenait d’avoir remarqué tout près de ses yeux cette tache qui grandissait, s’élargissait…

La souffrance de son âme avait été bien plus intolérable que celle de son corps. Son corps, cela avait à vrai dire bien peu d’importance. Des corps, il pouvait en avoir d’autres… Mais ce qui lui était si douloureux, c’était qu’il avait échoué dans sa mission. Ils ne l’avaient pas écouté, pire, ils ne l’avaient pas compris, PAS COMPRIS !

Le silence avait brusquement succédé aux cris lorsque les portes avaient volé en éclat pour laisser passer ses compagnons venus rechercher son corps étendu, là, sur le tapis bleu, maintenant imbibé de son sang.

Il était seul de nouveau. Le soleil chauffait son nouveau corps. La Terre était belle, pourtant. Pourquoi les hommes n’avaient-ils eu de cesse de la défigurer, de la détruire, de rompre les équilibres admirables qu’elle avait mis des millénaires à établir ?

Après son échec, les évènements avaient suivi leur cours. Les forces galactiques s’étaient mises en attente afin d’intervenir dès que les premiers nuages de poussières radioactives apparaîtraient dans l’atmosphère. En quelques jours, ils avaient nettoyé le ciel, mais ils n’avaient pu empêcher les ultimes combats dans lesquels les survivants avaient fini par s’entretuer. Sur Terre, la vie s’était rapidement éteinte. Maintenant, la planète était irradiée pour des milliers d’années. L’axe de celle-ci s’était incliné de quelques degrés, provoquant des tempêtes et des catastrophes aux conséquences incalculables. Les océans étaient montés, recouvrant de leurs eaux les orgueilleuses cités de béton et d’acier.

Si on l’avait écouté, est-ce que cela aurait changé grand-chose ?
La Terre n’aurait-elle pas été un poison introduit au sein de l’Alliance ? De toute manière, il n’était plus temps de regretter ou de juger, de dire si cela aurait été bien ou mal… Cela était, voilà tout, les hommes avaient choisi et précipité leur destin. La vie continuait ailleurs sous d’autres formes.

Quant à la Terre, il lui restait le silence.

Le visiteur marcha vers l’engin métallique posé sur l’esplanade. Il brillait au soleil comme brillait l’océan sans limite qui recouvrait la Terre.

Genève, 1972
Aubenas, 2007

5 commentaires:

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  2. Un très beau texte! Tu écris comme un peintre, par images, couleurs, formes, par touches successives et sous différents angles.
    fougère

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    1. Je remercie Fougère (dont je n'ai hélas plus de nouvelles) pour ce beau commentaire qui me touche profondément.

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  3. Je viens de lire ta nouvelle et je trouve le compliment de Fougère très pertinent et juste. Je pense qu'au mouvement du peintre s'ajoutent la musique du poète et les symboles du philosophe. Continue d'écrire, Roland, tous les genres te vont bien et nous, on apprécie !

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    1. Merci Catherine, pour ton message. C'est sympa de m'encourager à écrire...

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