Le président de la république, François Hollande, a annoncé, le 21 février 2014, l'entrée au Panthéon de quatre grandes personnalités de la Résistance, deux hommes (Jean Zay et Pierre Brossolette) et deux femmes (Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz) qui étaient chères à mon coeur. J'ai bien connu Germaine Tillion puisque, entre 1976 et 1979, elle a été mon directeur de thèse à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et que nous sommes restés amis jusqu'à son décès en 2008. Elle m'avait souvent parlé de Geneviève de Gaulle, la nièce du général de Gaulle, qui fut son amie et sa compagne de déportation à Ravensbrück.
« De la Résistance à l'Algérie: Germaine Tillion (1907-2008) aura été des grands combats du XXe siècle. Pionnière de l'ethnologie française, elle mène ses recherches en Algérie, dans les Aurès. Lorsqu'elle rentre en France, en 1940, elle découvre Paris occupé. Depuis le Musée de l'homme où elle travaille, elle participe à la création du premier réseau de résistance. Elle coordonne, avec l'aide du résistant Paul Hauet, l'activité des groupes en région, organise des évasions de prisonniers. Dénoncée en 1942, elle est déportée à Ravensbrück avec sa mère, qui sera gazée en 1945. Germaine Tillion a 38 ans : elle observe le camp en ethnographe, demande à ses camarades de lui rapporter des informations, leur fait des conférences sur la logique du système concentrationnaire, qu'elle comprend peu à peu. Elle publiera ses observations dès 1946.
La connaissance est un engagement et une évasion, car lorsque vous n'avez plus rien, seule la raison humaine peut vous empêcher de sombrer», dit-elle. Cachée dans des cartons, elle écrit en 1944, l'année où Geneviève de Gaulle arrive à son tour à Ravensbrück, une opérette sur le quotidien des camps, Le Verfügbar aux Enfers, dont elle chante les airs à ses compagnes : «J'ai écrit une chose comique, parce que je pense que le rire, même dans les situations les plus tragiques, est un élément vivifiant. Que reste-t-il quand il ne reste plus rien à opposer à la barbarie? Le rire. On peut rire jusqu'à la dernière minute», estimait-elle.
Qu'aurait pensé Germaine Tillion de ces honneurs posthumes ? Je ne sais pas. C'était une femme simple, d'une grande modestie. Un jour, alors que j'étais allé la voir dans le petit appartement bourré de livres et de documents qu'elle habitait à Saint-Mandé, le temps sur Paris était terrible, il avait neigé et la neige était devenue une immonde gadoue, comme toujours à Paris. Au sortir du métro, je patinais sur les trottoirs détrempés dans mes chaussures de ville et j'arrivai chez elle complètement trempé. Comme nous étions aux alentours de Noël, j'avais eu l'idée lumineuse d'apporter avec moi un Christmas pudding, acheté quelques heures plus tôt à St. Germain-en-Laye où j'étais logé chez mon ami Michel Rouvière. Et, ce que j'ignorais, c'est que ce genre de gâteau traditionnel anglais doit être ouvert plusieurs heures à l'avance avant d'être consommé et qu'il nécessite toute une préparation. Comme je n'avais pas ces quelques heures (je devais reprendre le train le soir même pour l'Ardèche), elle me proposa soit un thé, soit un whisky "pour me réchauffer". J'optai pour la whisky, et elle aussi. Lorsque, après une discussion à bâtons rompus sur les sloughis (lévriers que l'on trouve depuis l'Egypte jusqu'aux Iles Canaries), je repartis, je titubais un peu et je faillis bien m'étaler en redescendant les escaliers verglacés qui menaient au métro. Je ne peux me souvenir d'elle que comme cela : simple, chaleureuse, sans chichis, proposant à son étudiant crotté et gelé (qu'elle n'avait pas vu depuis plusieurs années mais avec lequel elle était resté en contact) un verre de whisky "pour le réchauffer".
Chère Germaine Tillion, je crois ne pas trop m'avancer en estimant que cet hommage posthume avec tout ce tralala de transfert de cendres au Panthéon ne vous aurait pas trop réjoui. Et même que sans doute, vous vous seriez un peu moquée en votre fort intérieur tant les honneurs vous indifféraient mais, vous l'auriez tout de même accepté, car vous respectiez infiniment nos institutions.
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