Ce qui me touche dans la peinture, quel que soit son style ou son époque, c'est une forme d'intemporalité, comme une tentation d'éternité. C'est pourquoi j'aime autant Nicolas de Staël,
- Giorgio de Chirico,
-Paul Delvaux
ou Edward Hopper.
Sans parler bien entendu la peinture des maîtres de la Renaissance que sont Piero della Francesca,
- ou Masaccio (Adam et Eve chassés du paradis)
ou encore un peintre moins connu comme Agnolo di Cosimo, dit Il Bronzino dont le "portrait d'un jeune sculpteur" m'émeut au plus haut point.
Pourtant, dieu sait que ces peintres ne sont pas comparables les uns avec les autres ! Je me garderai de les comparer, d'ailleurs. Chacun a sa technique, sa palette, sa matière mais, tous me transportent ailleurs. Mais ce qui, dans mon "musée imaginaire" (j'emprunte l'expression à Malraux), ce sont certaines qualités que je retrouve en chacun.
Je suis en effet en train de terminer la lecture du volumineux catalogue de l'exposition Edward Hopper qui a eu lieu d'octobre 2012 à janvier 2013 au Grand Palais à Paris et que je n'ai malheureusement pas pu voir. J'y ai relevé des passages qui m'ont permis de comprendre pourquoi les peintures de cet artiste trouvaient un tel écho en moi.
"Le poignant, la solitude de ses figures..."
Les humains sont absents de ses toiles et, lorsqu'ils sont présents, il y a en eux une sorte d'absence au monde. Ils figurent dans les tableaux presque contre leur volonté, comme si on leur avait dit "Restez-là un moment !" : leur corps y est, mais pas leur âme, ni leur regard...
C'est ce que je ressens aussi dans les personnages de Piero della Francesca, de ceux de Masaccio, ou dans ce magnifique portrait d'un jeune sculpteur par Il Bronzino.
Les personnages de Piero montrent des visages impassibles, qui ont l'air de regarder au-delà du miroir des apparences une réalité qui n'appartient pas à ce monde. Chez Hopper, les échanges de regards semblent presque totalement absents.
Il y a d'autres points communs entre ces peintres, en particulier entre les paysages géométriques de Hopper, ceux de de Chirico, mais aussi ceux de Delvaux ou de Nicolas de Staël : de ces paysages naît une impression de vide, d’équilibre précaire, le temps a l'air comme suspendu, en un mot d'éternité... On retrouve cette sensation, poussée au paroxysme, dans la Cità ideale peinte par Piero à Urbino, où il n'y a pas le moindre personnage, pas la moindre vie, et où les lignes de fuite semblent pouvoir se prolonger à l'infini, hors du tableau (ou au-delà de lui), dans un ailleurs que l'on ne peut que rêver.
Je pense en écrivant cela à de bouquin merveilleux et qu'il est indispensable d'avoir lu, L'arrière pays d'Yves Bonnefoy dont je voudrais citer, une nouvelle fois, ce passage qui résume si parfaitement ce que je veux dire :
"J'ai souvent éprouvé un sentiment d'inquiétude, à des carrefours. Il me semble dans ces moments qu'en ce lieu ou presque : là, à deux pas sur la voie que je n'ai pas prise et dont déjà je m'éloigne, oui, c'est là que s'ouvrait un pays d'essence plus haute, où j'aurais pu aller vivre et que désormais j'ai perdu."