Le poème "Les murs" avait été publié dans l'Ivraie n°3, 1983. Il est repris ici sans modification.
Je le dédie aujourd'hui à tous ceux qui sont injustement emprisonnés.
Les murs
Dans la chair de la terre, ils firent une entaille de sang.
Ils y plantèrent leurs épieux et ils dressèrent les murailles de la première ville.
Dans la ville, ils firent des maisons, des châteaux, des églises, mais aussi des prisons.
Et derrière les murs, on enferma la peur, l'ennui, la souffrance et l'angoisse.
On enferma la haine et l'amour, la vie.
Et de la vie, on fit une petite mort.
Et de la vie, on fit une petite mort.
Et de nous, des voyeurs derrière des volets.
On fit, au mensonge, un rempart, à la lâcheté, un palais.
Et on creusa des caves et des couloirs, pour y cacher le Minotaure.
Et le tout, on le couronna de clochers !
Souvent, disparurent les murs, s'éboulèrent les tours...
Et du ciment de sang et d'or, le souvenir fut emporté.
Mais toujours, ils furent rebâtis, plus épais et plus lourds,
plus sombres et plus gris.
Un mur cacha la mer, une rose, le rivage...
Un mur devant le vent du large,
et la colline fut enclose, ses parfums oubliés
- ils faisaient trop rêver ! -
un mur devant, un mur derrière et un mur au-dessus (on l'appela un toit)
pour oublier l'orage, la valse de la neige ou des pétales d'amandier.
Un mur, surtout, pour échapper au regard absolu des étoiles !
Et un mur à la joie, un à l'espoir,
un mur pour le sourire, et un mur pour la source,
un pour l'enfant, un pour l'oiseau
un mur pour le partage, un mur pour le carnage,
un mur ici ou là, jour à jour, nuit à nuit.
Un mur, des barbelés, une frontière.
Un mur pour le paradis, un autre pour l'enfer.
Un mur pour toi, un mur pour moi,
et pour vous, et pour lui
Et un mur pour les cris de ceux que l'on torture,
un mur pour ceux qu'aujourd'hui l'on fusille.
Un mur pour Celui qui fut crucifié,
un mur pour le sépulcre, un mur pour le charnier
un mur devant les yeux, un mur autour du coeur.
O, murs de mort ! Quand donc cèderez-vous au temps ?
Quand tomberez-vous en poussière ?
Quand donc viendra la mer vous transformer en grève ?
Et le vent, pour disperser vos cendres ?
O, murs des hommes, faut-il donc que les dieux excédés,
de nouveau descendent sur la Terre pour balayer vos ombres ?
Faut-il que les trompettes sonnent, que la forêt s'avance
pour qu'enfin vous fondiez dans les brouillards du temps
et que la liberté brille avec l'aube neuve,
que la chanson s'élève jusqu'aux confins de l'univers,
et que la flamme pure pénètre au plus profond du ventre de la nuit ?
Si je savais que vous soyez défaits,
je veillerais !
(Extrait de "Paroles du vent" - "les murs", mai 1978)
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