(AP Photo/Ricardo Moraes, File)
Je viens d'apprendre que le grand architecte brésilien Oscar Niemeyer était mort le 6 décembre dernier à l'âge de 104 ans. J'ai déjà dit ici que lorsque j'étais enfant, l'un des métiers que j'aurais voulu faire était celui d'architecte. A part Frank Lloyd Wright et Le Corbusier, l'un des architectes qui m'avait le plus inspiré était Oscar Niemeyer et son oeuvre majeure, Brasilia.
« Par l’effet conjugué d’un
immense talent et d’une vitalité exceptionnelles, Oscar Niemeyer laisse une
œuvre considérable, plusieurs centaines d’ouvrages dans le monde dont une
vingtaine est encore en cours de réalisation dans divers pays. On se souvient de
Brasilia, bien sûr, dont il réalisa les principaux monuments publics (inscrits
au patrimoine mondial de l’Unesco en 1987), mais aussi, en France, de la maison
de la culture du Havre (inscrite en 2005), du siège du Parti communiste
français à Paris, de la Bourse du travail de Bobigny.
Parmi les innombrables bâtiments
que d’autres pays lui ont confiés, Oscar Niemeyer se disait particulièrement
fier du siège des Éditions Mondadori près de Milan (1968-1975), une version
moderne du temple grec selon ses propres dires, ou de l’université algérienne
de Constantine (1969-1977), en forme d’ailes d’oiseau.
Prodigue, se renouvelant sans
cesse, privilégiant le jeu des formes, leur sensualité et leur musicalité
intrinsèque, Oscar Niemeyer ne fut le chantre d’aucun dogme, d’aucun parti pris
formel et il parlait de son art comme un dessinateur amoureux : « Ce n’est pas
l’angle droit qui m’attire, ni la ligne droite, dure, inflexible, créée par
l’homme. Ce qui m’attire, c’est la courbe libre et sensuelle, la courbe que je
rencontre dans les montagnes de mon pays, dans le cours sinueux de ses fleuves,
dans la vague de la mer, dans le corps de la femme préférée. » C’est pourtant de Le Corbusier, dont on met
volontiers en avant la rigueur, voire l’austérité, que l’architecte brésilien
reçut ses premières leçons.
Bâtiment du Congrès national (Brasilia)
UNE CAPACITÉ D'INNOVER HORS DU
COMMUN
En 1929, l’année même où Oscar
Niemeyer s’inscrit à l’école d’architecture de Rio de Janeiro, l’architecte
franco-suisse y donne une série de conférences. Quelques années plus tard, sous
la direction de Lucio Costa, tête de file de la nouvelle génération
d’architectes brésiliens, Niemeyer et Le Corbusier travailleront ensemble sur
le projet du nouveau ministère de l’éducation et de la santé du Brésil,
bâtiment qui deviendra une icône du « style international » caractérisant les
grandes réalisations des Trente Glorieuses. Ils se retrouveront en 1947 pour la
conception du bâtiment de l’ONU à New York. Si un univers culturel sépare les
deux architectes, ils ont en commun une capacité d’innover hors du commun et
une audace constructive – notamment dans l’usage du béton – encore rare à
l’époque.
La première grande commande
publique que reçoit Oscar Niemeyer, en 1940, et qui lance véritablement sa
carrière, vient de Juscelino Kubitschek, alors maire de Belo Horizonte, capitale
de l’État du Minas Gerais. Sur les bords d’un lac artificiel, dans le quartier
de Pampulha, l’architecte conçoit un yacht-club, une salle de bal, un casino et
la merveilleuse église Saint-François-d’Assise aux volumes rythmés comme une
succession de vagues habillées d’azulejos bleus. Un monument hardi, aux courbes
déliées, dont la réussite et le sentiment de plénitude qui s’en dégage
expriment l’une des convictions de l’architecte : « Je suis pour les choses
innovantes et belles dont l’audace et l’esprit créatif peuvent surprendre et
émouvoir (1). »
Élu président de la République en
1956, Kubitschek se tournera de nouveau vers Niemeyer pour la création
ex-nihilo de la future capitale du pays au cœur des terres. Le film L’Homme de
Rio de Philipe de Broca (avec Jean-Paul
Belmondo) donne une petite idée de la démesure du projet que fut Brasilia et de
l’engagement qu’il exigea. Niemeyer y prit sa part, sans doute la meilleure, en
posant quelques grandioses sculptures (la cathédrale, le Parlement, le Palais
des Congrès, la Cour suprême…) sans subir les contraintes d’un plan d’urbanisme
autrement ardu à mettre en place et dont se chargea son confrère, Lucio Costa.
Sculpter l’espace à la manière
d’un artiste. C’est ainsi qu’Oscar Niemeyer aimait présenter son travail :
par les traits amples et libres d’un dessin jeté sur le papier. Louant la
sensualité des courbes, la liberté des espaces vides, l’importance vitale de la
lumière, Niemeyer l’hédoniste arrime l’architecture au bonheur des sensations
premières. Et relègue d’autant plus volontiers la part complexe de ses projets
dans « la salle des machines », loin des visiteurs, qu’il peut s’appuyer sur
une équipe d’excellents ingénieurs (une belle tradition brésilienne). Libre de
forger ainsi sa légende : « Ma mère m’a raconté que, tout petit, je dessinais
dans le ciel avec mon index. (…)
Contempler les nuages a toujours constitué ma distraction favorite. »
Maison de la culture du Havre
UN HOMME ENGAGÉ DANS LE
COMMUNISME
Ces évocations délibérément
aériennes, voire ascensionnelles, expriment également le caractère idéaliste
d’un homme répétant inlassablement que le combat contre la pauvreté et
l’oppression sont la priorité politique absolue. Enfant de la bourgeoisie
carioca, il s’engagea dans le communisme (il reçut le prix Lénine en 1963 et
fut l’ami de Fidel Castro, Pablo Neruda, Salvador Allende), ce qui lui valut
quelques années d’exil en France grâce au soutien d’André Malraux, après la
prise de pouvoir des militaires dans son pays.
Palacio da Alvorada (Brasilia)
Ses convictions politiques restèrent
cependant en retrait de son travail : Niemeyer œuvra peu pour les pauvres ou le
recul des favelas même si, en 2009, fut inauguré un centre culturel pour les
jeunes dans la favela de Niterói, dessiné « sans honoraires » par l’architecte.
Travailleur infatigable, avouant, le jour de ses 100 ans, son étonnement «
d’être toujours là », Oscar Niemeyer,
qui surprenait ses visiteurs par sa vitalité, disait aussi volontiers : « Je me
sens en paix avec moi-même parce que je crois en ce que je propose. »
(1) Les citations d’Oscar
Niemeyer sont extraites de Niemeyer paroles d’architecte (de Jean Petit, Éd.
Fidia).
Plus de photos sur Culture Box (France Télévisions)
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