Je connais assez bien l’œuvre de
Leonard Cohen que j'ai beaucoup écouté depuis mes années de fac. Il fait partie des
chanteurs que je continue d'écouter et dont j’ai toujours quelques chansons
enregistrées sur mon lecteur MP3 lorsque je suis en voyage.
J’ai eu la surprise de
reconnaître cette voix inimitable à la fin du générique d’un film où je ne me
serais pas attendu à la trouver : 100 % cachemire de Valérie Lemercier. Pour
ceux qui n’ont pas vu le film, que j’ai personnellement assez aimé, je dirais
que c'est - a priori - une comédie légère et que l’on ne s’attend pas à y entendre une
chanson de Cohen et en tout cas, pas celle-là !
J'ai depuis réentendu cette chanson dans un film injustement méconnu, un remake américain de Parfum de femme, de Dino Risi, stupidement intitulé en français Le temps d'un week-end. Ce film, avec Al Pacino dans le rôle titre, est en tout point remarquable et, à mon avis meilleur que l'original, ce qui est exceptionnel pour un "remake".
J'ai depuis réentendu cette chanson dans un film injustement méconnu, un remake américain de Parfum de femme, de Dino Risi, stupidement intitulé en français Le temps d'un week-end. Ce film, avec Al Pacino dans le rôle titre, est en tout point remarquable et, à mon avis meilleur que l'original, ce qui est exceptionnel pour un "remake".
Arrivé chez moi, je me suis
précipité sur Internet pour avoir confirmation de mon intuition : c’était
bien Leonard Cohen que l'on entendait interprétant une chanson que je ne connaissais pas et qui s’intitulait
« Dance me to the end of love ».
Bien entendu, j’en ai aussi
recherché les paroles et j’ai voulu les traduire. Comme je l’ai déjà souvent
dit ici, et ce n’est une révélation pour personne qui pratique plusieurs
langues, la traduction est toujours difficile. Elle confine à l’impossible
lorsqu’il s’agit de poésie et encore plus de paroles de chansons. Et lorsqu’il
s’agit de chansons de Leonard Cohen..., on atteint les sommets, car s’ajoute
à tout cela la complexité du personnage et de son inspiration. Leonard Cohen était avare de commentaires sur ses chansons. En cherchant bien, j'ai fini par dénicher une interview où il en parle (ci-dessous).
Voici maintenant mon modeste essai de traduction. Je n'en suis pas totalement satisfait. Comment le pourrais-je avec une chanson d'une telle richesse et aux telles résonances ?
Danse-moi jusqu'à la fin de l'amour
Dance me to your beauty with a burning violin
Danse-moi jusqu’à ta beauté avec un violon en flammes
Dance me through the panic 'til I'm gathered safely in
Danse-moi à travers le chaos jusqu’à ce que je sois à l’abri
Lift me like an olive branch and be my homeward dove
Soulève-moi comme une branche d’olivier et sois ma colombe de retour à la maison
Dance me to the end of love
Danse-moi jusqu’à la fin de l’amour
Dance me to the end of love
Danse-moi jusqu’à la fin de l’amour
Oh let me see your beauty when the witnesses are gone
Oh, laisse-moi voir ta beauté quand les témoins sont partis
Let me feel you moving like they do in Babylon
Laisse-moi te voir bouger comme ils faisaient à Babylone
Show me slowly what I only know the limits of
Montre-moi lentement ce que je connais seulement des limites
Dance me to the end of love
Danse-moi jusqu’à la fin de l’amour
Dance me to the end of love
Danse-moi jusqu’à la fin de l’amour
Dance me to the wedding now, dance me on and on
Danse-moi au mariage d’aujourd’hui, danse-moi encore et encore
Dance me very tenderly and dance me very long
Danse-moi très tendrement et danse-moi encore
We're both of us beneath our love, we're both of us above
Nous sommes tous les deux au-dessous de notre amour, nous sommes tous les deux au-dessus
Dance me to the end of love
Danse-moi jusqu’à la fin de l’amour
Dance me to the end of love
Danse-moi jusqu’à la fin de l’amour
Dance me to the children who are asking to be born
Danse-moi pour les enfants qui demandent à naître
Dance me through the curtains that our kisses have outworn
Danse-moi à travers les rideaux que nos baisers ont usés
Raise a tent of shelter now, though every thread is torn
Dresse une tente pour nous servir d’abri maintenant, bien que tous les fils soient brisés
Dance me to the end of love
Danse-moi jusqu’à la fin de l’amour
Dance me to your beauty with a burning violin
Danse-moi jusqu’à la beauté avec un violon en flammes
Dance me through the panic till I'm gathered safely in
Danse-moi à travers le chaos jusqu’à ce que je sois à l’abri
Touch me with your naked hand or touch me with your glove
Touche-moi de ta main nue ou touche-moi de ton gant
Dance me to the end of love
Danse-moi jusqu’à la fin de l’amour
Dance me to the end of love
Danse-moi jusqu’à la fin de l’amour
Dance me to the end of love
Danse-moi jusqu’à la fin de l’amour
[Traduction par R. Comte]
Voici maintenant l'interview de Leonard Cohen sur ce texte :
Dance Me To
The End Of Love' ... it's curious how songs begin because the origin of the
song, every song, has a kind of grain or seed that somebody hands you or the
world hands you and that's why the process is so mysterious about writing a
song. But that came from just hearing or reading or knowing that in the death
camps, beside the crematoria, in certain of the death camps, a string quartet
was pressed into performance while this horror was going on, those were the
people whose fate was this horror also. And they would be playing classical
music while their fellow prisoners were being killed and burnt. So, that music,
"Dance me to your beauty with a burning violin," meaning the beauty
there of being the consummation of life, the end of this existence and of the
passionate element in that consummation. But, it is the same language that we
use for surrender to the beloved, so that the song -- it's not important that
anybody knows the genesis of it."
"C’est étrange comme
les chansons commencent, chaque chanson, comme une graine ou une bouture que quelqu’un
vous tend ou que le monde vous offre. C’est pourquoi le processus qui consiste
à écrire une chanson est si mystérieux. Mais celle-ci m’a été inspirée après
avoir entendu parler, ou lu, ou simplement par le fait de savoir que, dans les
camps d’extermination, à côté du crematorium, dans certains de ces camps de la
mort, un quatuor à cordes avait été obligé de donner un concert alors que
l’horreur était à l’œuvre, eux dont la destinée était une pure horreur. Et ils
jouaient de la musique classique pendant que leurs compagnons étaient tués et
brûlés. Ainsi, cette phrase « Dance me to your beauty with a burning
violin », qui évoque la beauté qui se consume avec la vie, la fin de
l’existence et l’annihilation qu’entraîne aussi la passion. Ce sont les mêmes
mots que l’on emploie pour s’abandonner à l’amour; c'est pourquoi il n'est pas important que l'on connaisse la genèse de cette chanson." [Traduction : RC]
Je pense que cet éclairage vous permettra, sinon de comprendre toutes les subtilités de ce texte, du moins d'en mesurer la profondeur.
Reste à savoir pourquoi Valérie Lemercier a mis cette chanson à la fin de son film ? Peut-être ses sonorités lui ont-elle simplement plu ? Peut-être a-t-elle voulu indiquer que son film n'était pas qu'une comédie... Il est vrai qu'il parle d'une histoire d'adoption ratée et qu'au fond, le sujet amène à réfléchir. Si quelqu'un a la clé de cette énigme, je suis preneur.
PS : Ce post est un de ceux qui a reçu le plus grand nombre de commentaires de lecteurs depuis sa création. Je les remercie tous car elles ont toutes été positives et intéressantes (ce qui n'est pas toujours le cas, hélas !) Je remercie en particulier GG pour ses remarques et je vais suivre sa suggestion concernant la traduction de "Dance me" que j'avais voulu rendre plus compréhensible en français en écrivant "Fais-moi danser" en préservant la poésie de Cohen et en rectifiant donc ma 1ère traduction par "Danse-moi". RC.
Bonjour, je viens de voir le film de Valerie Lemercier, que j’ai bien aimé. Ce film n’est pas si léger qu’il n’y parait puisqu’il met en scène des vies chaotiques ( de protagonistes un peu caricaturaux certes) et évidemment l’amour est au centre de tout ça. La happy end commerciale ne doit pas masquer les difficultés que le film relate pour qu’un couple dure. Le couple cherche des dérivatifs pour se rassurer tant que l’enfant n’est pas présent dans leur vie. Une fois l’adoption entamée, c’est encore pire, on apprend que Gilles Lelouche se tape la collègue vulgaire et envieuse. Et enfin, la chanson de Léonard Cohen à la fin confirme que l’amour se consume comme une flamme difficile à entretenir dans une vie bien rangée. Quelques coups de folie sont nécessaires pour entretenir une flamme amoureuse.
RépondreSupprimerDe plus le couple semble plutôt bien condamné à ne pas avoir d’enfants puisque l’homme a une mère encombrante alors que la femme n’a pas connue sa mère absente qui a préféré se suicider. On peut se demander si la difficulté de procréer dans ce cas n’est pas totalement psychologique. La difficulté de procréer est parfois psychologique. Par exemple il arrive que des couples déclarés inaptes biologiquement réussissent à avoir un enfant après un décès de parent proche.
C'est bien ce que j'ai souligné dans mon commentaire sur le film sur mon autre blog, consacré au cinéma (il suffit de cliquer sur le lien pour être mis en relation avec cette critique).
Supprimerbonjour
RépondreSupprimerLe film de Valerie Lemercier ne raconte pas qu'une histoire d’adoption mais de la difficulté de procréer et des relations de couple à l'attente et l'arrivé d'un enfant.C'est un très beau film.
Oui, vous avez raison. Merci de l'avoir signalé. Il faudrait que je rajoute cela à mon commentaire.
SupprimerVoir ma réponse précédente à Rita.
RépondreSupprimerhttps://annbourgogne.wordpress.com/litterature/poesie/dance-me-to-the-end-of-love-leonard-cohen/
RépondreSupprimerMagnifique explication de texte
Merci pour l'information. Ce texte est tellement complexe et profond, comme tous les textes de Leonard Cohen, que tout éclairage est le bienvenu.
SupprimerQui est l’actrice qui danse avec Paci ou sur la musique de Léonard Cohen..?
RépondreSupprimerquelle était la musique classique que jouait le quatuor pendant que leurs compagnons etait en train de mourir dans les chambres a gaz et ceci afin de couvrir le bruit de leur souffrance
RépondreSupprimerje ne boude pas le plaisir de fournir un élément de plus à cet intéressant Blog .Un rapport entre les camps d'extermination et le violon en flamme ...Si Cohen le dit ,c'est sans doute vrai mais le dit il ...Quatuor ,mais orchestres plus conséquents aussi...
RépondreSupprimerIl y avait bien comme le dit l'auteur de cet article et "passeur " de cette traduction ,des orchestres dans les camps qui jouaient à divers occasion ,peut être durant gazages et exécution mais aussi à l'arrivée des convois des nouveaux venus c'est du moins ce que l'Histoire nous dit , à 65 ans je suis trop jeune pour avoir connu ces horreurs .De famille juive les textes de Leonard Cohen regorgent d'allusions bibliques ,on trouve notamment dans cette chanson "dance me ..."la branche d'olivier et la colombe ,symbole de la fin du déluge ,la colombe revenant avec dans son bec une branche d'olivier signifiait clairement que de nouveau des terres émergeaient...
Pour les tentes allusion peut être à la fête juive de Souccot ou les pratiquants vivent une semaine sous des tentes pour se remémorer la déambulation de 40 dans le désert après la sortie d'Egypte ,quand aux fils brisés ...je ne sais pas .
Mais laissons le flou subsister ,la poésie demeure la poésie ,et Cohen est un grand poète . Je préfère" Danse moi" ,plutôt que "fais moi danser". La première propositions évoque la danse d'une très belle femme dansant pour l'auteur et pour nous et puisque nous sommes dans les références pourquoi pas Salomé dansant .
Pour la suite il y a bien "let me see your beauty when the witnesses..."mais "let me feel your moving..."qui se traduirai plutôt par laisse moi te sentir bouger ...comme à Babylone jadis ,l'image est nette .Pour reprendre l'esprit de l'auteur de ce blog ,ne cherchons pas midi a quatorze heures et dégustons à plaisir cette superbe chanson sous toutes ses interprétations Cohen dans la quarantaine jeune et terriblement séducteur avec ses choristes ou dans ses dernières tournées avec plus de retenue .
Je conseille modestement la version française chantée par Graeme Allwright qui conserve sens et rime sans amoindrir le mystère .
Très sincèrement
GG
Merci, GG, pour votre long commentaire de ce texte si riche et intéressant. J'avoue que j'en ai bavé pour essayer de coller au mieux à l'esprit de cette chanson tout en sachant que je n'y arriverai pas. Vous avez raison, je vais tenir compte de votre remarque et changer ma traduction sur un ou de points.
Supprimerje pense aussi que le violoniste dans le camp était grec, j'ai lu ça quelque part. Il jouait du Mozart et du Bethoven
RépondreSupprimerMerci pour votre commentaire qui éclaire un peu mieux un texte complexe et particulièrement dramatique.
RépondreSupprimerPour les fils , je pense à Caïn et Abel . Lorsque l'un a tué l'autre et qu'il s'enfuit avec ses fils . Se rapporter au merveilleux texte de Victor Hugo : La conscience .
RépondreSupprimerMerci pour ce dernier commentaire. J'avoue ne pas avoir pensé à cette référence.
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