Hommage à Leonard Cohen
Je viens d’apprendre avec une
grande tristesse la mort de Leonard Cohen. Il m’accompagnait depuis mes années
de fac. Comme tous les soixante-huitards, je l’avais découvert avec mes copains
de l’époque en écoutant en boucle dans nos chambres à la cité-U, Suzanne, Sisters
of Mercy, Bird on the wire… A l’époque, bien que je fasse des études d’anglais,
je ne comprenais pas toutes les paroles mais je ne cherchais pas vraiment non plus à tout comprendre, préférant me laisser bercer par sa
voix sombre et chaleureuse.
Il est rare qu’on ne se lasse pas
d’un chanteur ou d’une chanteuse. On a des coups de cœur puis l’on passe à
autre chose... Or, au cours de ces années, je ne me suis jamais lassé d’écouter Leonard Cohen, jusqu’à
ces derniers jours, jusqu’à ce dernier disque You Want it Darker, sorti seulement fin octobre, et dont je n'ai entendu que des bribes, me
promettant de l’acheter et de l’écouter à tête reposée.
L’annonce de sa mort m’a frappé
comme l’aurait fait un coup de foudre. Je le savais âgé mais qu’est-ce à notre
époque que 82 ans pour de tels monuments ? On aimerait que des êtres comme lui ne
meurent jamais, tout en sachant que ce n’est pas possible.
Ne me satisfaisant d’aucune des traductions
de ses chansons publiées en français, je m’étais bien modestement essayé à en
traduire certaines. Il n’y a pas si longtemps, sur ce
blog, j’avais publié la traduction faite d’une chanson illustrant
la bande son de la comédie de Valérie Lemercier 100 % cachemire. Comme je l'ai écrit alors, on ne se serait pas attendu à entendre une chanson aussi sombre dans un tel film. Cette chanson s’appelait Dance me to the end of love. Si l’on traduit cette phrase mot à mot, cela donne :
« Danse-moi jusqu’à la fin de l’amour ». Bizarre… Mais tous les
textes de Leonard Cohen sont bizarres. En fait, c’est de la poésie pure qui
fonctionne par allusion, par approximations, évoquant plus que décrivant, caressant
les mots pour qu’à leur tour, ils caressent la réalité et vous rapprochent du
rêve… En cela, Cohen était un maître génial.
Internet nous apprend qu’en juillet
dernier, il avait perdu «la femme de sa vie», Marianne Ihlen. Elle avait été sa
muse et une source d'inspiration pour bon nombre de ses morceaux, à commencer
par « So long, Marianne », écrit en 1968, mais aussi "Bird on the wire" que j'ai tant écouté. Bien qu’ils soient séparés
depuis les années 70, où il rencontra Suzanne Elrod, la mère de ses deux
enfants (et la Suzanne de la chanson), ils restèrent des amis très proches. Lorsqu’il apprit que Marianne
était malade, il lui écrivit une magnifique lettre, une dernière déclaration d’amour si lucide qu'elle en est prémonitoire :
«Marianne, le temps où nous
sommes si vieux et où nos corps s'effondrent est venu, et je pense que je vais
te suivre très bientôt. Sache que je suis si près derrière toi que, si tu tends
la main, je pense que tu pourras atteindre la mienne. Tu sais que je t'ai
toujours aimée pour ta beauté et ta sagesse, je n'ai pas besoin d'en dire plus
à ce sujet car tu sais déjà tout cela. Maintenant, je veux seulement te
souhaiter un très bon voyage. Adieu, ma vieille amie. Mon amour éternel, nous
nous reverrons. »
Marianne est décédée deux jours après avoir reçu cette
lettre. Et Leonard n'aura pas attendu longtemps avant d'accomplir sa promesse de la retrouver au-delà de la mort.
En octobre dernier, à l'occasion
de la sortie de son 14e album, il s'était confié à la revue Les Inrocks. Leonard Cohen leur avait entre autres déclaré : « Je n'ai pas peur de la mort. Ce sont
les préliminaires qui m'inquiètent. »
La mort lui aura fait ce cadeau en lui évitant ces préliminaires qu'il redoutait: elle a été douce avec lui puisqu’elle
est venue le chercher sans lui avoir laissé le temps de l’attendre, lui qu'elle fascinait tant et qu'il avait
encensée à travers beaucoup de ses chansons.
So long, Leonard.
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